Comment réussir quand c’est impossible?

Quand j’ai commencé le projet des 50
salopards je ne savais pas trop quoi faire des photos, je le voyais
comme une démarche personnelle, une envie de croiser quelques
comédiens et de les photographier. Un ami m’a motivé pour en faire
un livre ou une expo, je me suis dit qu’il fallait tenter le coup,
j’ai commencé à envoyer des mails à des maisons d’édition. En
fait j’ai envoyé un mail auquel j’ai eu une réponse immédiate, un
rendez-vous et un contrat. J’ai eu la chance d’y croiser la bonne
personne au bon moment, c’est ça la chance, provoquer la rencontre.

Dès le départ il était clair qu’il
fallait des stars si je voulais vendre le livre, des têtes de
gondole, des vedettes, des grands du cinéma belge. Bien sur le
premier nom cité dans notre liste était Benoit Poelvoorde.

Recherches sur qui est son agent,
comment le/la contacter, tout semblait très difficile dès le début
surtout que les encouragements n’allaient pas dans le bon sens :
« Tu sais Benoit il déteste les photographes ! »,
« Il ne se supporte pas en photo, pour moi c’est mort ! »
etc.

La technique d’approche était la
suivante : Photographier d’abord des comédiens « moins
connus » pour proposer les photos aux plus connus, les photos
devaient faire la grande différence, c’était mon idée de base.
Dans la longue liste des acteurs moins connus il y avait Erico
Salamone, le mec hyper gentil, drôle, disponible et accessible. On
organise notre séance, tout se passe bien, il joue le jeu puis
m’apprend qu’il aura peut-être une scène sur un film avec
Poelvoorde quelques mois plus tard et qu’il me contactera. Ok pour
moi même si ce genre de futur rendez-vous fantomatique je connais.
C’est mort.

Un soir le téléphone sonne,
Erico… : « Demain matin parking du stade de football de
Charleroi, viens et prends des photos avec toi ! ». Deal,
on fonce.

Lendemain matin, février, brumeux, une
micro pluie est dans l’air, à peine quelques degrés, le garde
m’accueille avec un grand sourire très très bien caché, « C’est
pour quoi ? » Je lui explique, il me dit qu’il n’a reçu
aucune consigne, ça commence bien. Erico passe au loin je le vois,
ils ne tournent pas encore, je l’appelle sur son portable il ne
décroche pas, certainement resté dans une poche au vestiaire. Il
tourne la tête vers moi je lui fais un grand signe derrière le
molosse, il me voit et me fait signe d’entrer, le garde m’ouvre la
grille comme s’il avait perdu un pari.

Je passe au bureau de la prod expliquer
ma présence, on me demande de ne pas faire de photos du tournage,
j’explique que je ne suis pas là pour ça en montrant les photos
d’autres comédiens, ils trouvent le projet cool. On me dit de
demander à la femme de Poelvoorde d’abord, qu’elle se trouve dans la
cuisine, une petite blonde avec un bonnet rouge, je la cherche, je la
trouve, je lui explique, elle me dit d’accord. Mon coeur s’emballe.
« Maintenant ? » me demande-t-elle. Je réponds oui.
Elle quitte la pièce avec les photos.

Je l’entends, il crie mon nom, « Ou
es-tu Rudy Lamboray ??? », il hurle de loin, c’est bien
lui, extravagant. Il s’approche comme un taureau mais je n’esquiverai
pas, il entre :

« C’est toi qui a fait ces
photos ? »

« Oui »

« C’est bien il est beau
Couchard, tu sais c’est pas facile de le faire beau Couchard, il est
petit, moche, con… »

Tout le monde rigole.

« Ok tu veux faire ça ou ? »

« Dehors devant le papier blanc
collé au mur »

« On y va ! » Il
quitte la pièce aussi vite qu’il est entré, je le suis.

Il se place, je le guide, un peu, je
prends les photos, lui demande de baisser un peu le menton, il
s’exécute, les secondes semblent durer des minutes, je suis aux
anges et paniqué à la fois, ai-je la bonne ouverture, comment sont
mes isos, quelle vitesse, tout se bouscule, il est trop tard pour y
réfléchir, shoot.

« C’est bon j’ai ce qu’il
faut ! »

« Ah oui ? T’es sur ?
Tu es le plus rapide ! Ok super ! »

« Merci, j’envoie les photos à
votre épouse ? »

« Non c’est inutile, je n’aime
pas les photos » et il repart en criant qu’il se les gèle et
qu’on ferait mieux de commencer à tourner.

Sa femme me demande effectivement pour
recevoir les images avant toute publication, je lui promets. Je
remercie Erico, je m’en vais.

Dans la voiture, je vérifie les
photos, elles sont nettes ouf ! Je téléphone à mon meilleur
ami, faut que je partage ce moment, il sourit pour moi je l’entends,
c’est cool.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Je post-produis les images et les
envoie. J’attends le retour de sa femme.

Qui ne vient pas.

Une dizaine de semaine plus tard, je
reçois un mail, une tartine, je me dis que c’est mort et qu’elle
m’explique en long et en large pourquoi je ne pourrai pas utiliser
les photos. Pas du tout.

Elle a bien reçu les photos et quand
elle les a ouvertes Benoit est passé derrière elle, s’est vu à
l’écran et lui a dit : « Ah ben voilà une photo ou je
suis bien ! Enfin ! »

Je suis sidéré. Lui qui ne s’aime sur
aucune photo se trouve bien sur la mienne. Victoire avec le plus gros
des V.

Elle me demande s’il peut les utiliser
pour son agence, je donne mon accord évidemment.

Voilà ce qu’il se passe quand c’est
impossible dès le départ.