Comment j’ai rencontré ma muse…

Ma première rencontre
avec elle a été virtuelle. A l’époque j’étais englué dans un
frénésie de production photographique comme si le temps courrait
derrière moi et qu’il me mordait les talons. Un besoin quotidien de
penser aux images extraordinaires que je pourrais pondre moi qui
avait le talent photographique d’un oeuf. A la recherche permanente
du style, de la texture, de l’effet boeuf j’exploitais tout et
n’importe quoi, le filtre Lightroom, les retouches outrancières, le
numérique se transformait en sables mouvants dans lesquels
j’éprouvais de plus en plus de difficultés pour respirer
artistiquement.

Les rencontres ne
m’enrichissaient pas, celles et ceux que je croisais étaient souvent
carriéristes et n’avaient rien à offrir. Je parcourais les réseaux
sociaux en quête d’une personnalité plus intéressante quand je
suis tombé sur le profil d’un photographe sur Flickr. Elle y
apparaissait nue, couchée sur le sol les jambes tendues, les bras le
long du corps. Aucun effet, aucun filtre, un éclairage simple,
aucune subtilité, je la découvrais déjà en toute sincérité.
Cette découverte ne parle ni à l’esprit ni au coeur, elle vous
retourne les tripes. Je déteste la bouffe, je ne suis pas un mangeur
passionné, mon ventre a toujours été au service de mes émotions,
de mon ressenti.

D’autres images me
permettaient de la découvrir, je me souviens d’une photo en
particulier, en intérieur avec une lumière puissante provenant de
l’extérieur, une fenêtre ouverte, elle portait un soutien gorge
noir, ses cheveux semblaient humides, le regard dehors, la peau très
pâle, illuminée par l’intensité du soleil, elle souriait. Simple,
efficace, belle, très, trop belle.

J’envoie un message au
photographe qui ne me répondra jamais. Je retrouve le profil de
cette fille sur un autre réseau et je lui écris quelques mots. Au
début (elle me l’avouera bien plus tard) elle a cru à une erreur.
Un mec comme moi ne pouvait pas s’intéresser à une fille comme
elle… les syndromes dévastateurs qui vous empêchent de croire en
tout et puis d’ailleurs, c’est quoi un mec comme moi ?

Elle me répond enfin et
m’annonce avec joie qu’elle aimerait travailler avec moi. Elle habite
à plus de mille kilomètres. « C’est mort » me vient à
l’esprit, je le traduis par un « Super, dès que je passe dans
votre coin, je vous fais signe ! » avec le parfum de « On
vous écrira ! ». Elle ajoute «  Je peux venir ! »,
je suis sur le cul, elle veut faire plus de 1000 bornes pour des
photos ! Elle me dit qu’elle aimerait venir avec son frère et
visiter un peu Liège. Je lui confirme qu’ils sont les bienvenus et
que je me ferai une joie de leur proposer le meilleur de ma cité
ardente.

Ils arrivent, la
rencontre est chaleureuse mais distante, logique. Nous fixons la
séance au lendemain. J’essaie un Yashicaflex pour la première fois
et je précise que c’est un test que je ne garantis pas du tout le
résultat. Elle sourit et me dit qu’il ne faut hésiter à la
brusquer, à lui demander et expliquer clairement mes attentes. Elle
ne veut surtout pas me décevoir, ce serait con tant de kilomètres
pour finalement être déçu(e).

Puis elle pleure. Je ne
comprends pas pourquoi, elle est nue devant moi et je lui dis que je
ne peux rien faire, même pas la prendre dans mes bras. Elle sèche
ses larmes et elle m’explique qu’elle ne s’attendait pas à être
accueillie avec tant de gentillesse. Elle repart… à la gare je
sens qu’elle aimerait que je la prenne dans mes bras, un simple bisou
et salut serait difficile à accepter comme si la rencontre avait été
professionnelle ce que j’ai toujours respecté. Elle vient vers moi
avec le regard qui me dicte d’ouvrir mes bras. J’ose lui dire que je
n’ai pas envie qu’elle parte c’est alors que les larmes coulent dans
un timide « moi non plus ! ».

Il le faut pourtant, elle
le sait, elle prend le train. A peine séparés nous nous écrivons
tous les jours. Il lui faut 12h pour rentrer chez elle, j’en profite
pour faire développer les films, pour la première fois je me sens
artiste et plus photographe tant elle me touche sur les photos. Son
sourire, sa volonté, sa présence, son corps… Parfois vous créer
une photo, une chanson, un texte et vous vous dites « C’est bon
si on ne retient que ça de moi c’est bien. » Je lui dois ce
sentiment de satisfaction si difficile à obtenir.

Elle me dit qu’elle
aimerait revenir 10 jours au début de l’année, elle doit prendre
son solde de congés et aimerait en profiter avec moi mais sans son
frère. Je lui demande si elle souhaite que je cherche un hôtel pas
trop cher, elle me demande s’il y a de la place à la maison.

Elle est revenue, elle a
voulu rester et à du à nouveau repartir mais cette fois je suis
allé la rechercher quelques semaines plus tard avec tout ce qu’elle
voulait emporter. Je me souviens être arrivé chez elle, la voir
sortir de la maison comme une furie et me sauter dans les bras en
larmes comme si je venais la libérer.

Nous nous sommes mariés
un an plus tard. Elle est désormais mon épouse, plus de 100
galeries lui sont consacrées sur mon site, plus de 1000 photos en
tentant de ne jamais faire deux fois la même. 1000 façons de la
regarder, de lui dire à quel point elle compte et que sans elle non
seulement ma photographie s’éteint mais moi aussi.